OSEZ LA COULEUR
« La couleur a toujours été le moteur de mon travail, aime à rappeler Annick
Zimmermann. Qu'elle soit inspirée par des réminiscences de la vie ou portée par
ses propres vibrations, la couleur prend souvent le dessus de mes toiles et de la
figuration. Par le seul pouvoir du rythme coloré, l’espace de la toile s’anime, ordonne
la forme et se libère du réel. » D’un continent à l’autre, d’un pays à l’autre, d’une
technique à l’autre, la peintre a engagé cette dynamique chromatique depuis
quarante ans.
Les formes et couleurs qu’Annick Zimmermann déploie, elle les extrait de la profondeur
de la texture, de l’effacement des perspectives pour mieux révéler une vitalité
que l’on pourrait nommer la « mesure intérieure ». Même si ce fut au prix souvent
de changements de technique : du retrait des couches de peinture par ponçage,
technique exigeante qu’elle a maîtrisée à la perfection, elle revient à la technique
traditionnelle de l’ajout de glacis, effacée ou ajoutée, la matière libérée de véritables
foyers de couleurs et de pigments.
« Une âme inaugurant une forme. » La définition que Pierre-Jean Jouve donne de
la poésie convient bien à cette quête picturale qu’Annick Zimmermann déploie
dans son itinérance. Avec, chevillée au corps et à la toile, le risque quasi physique
de ne plus peindre « pour affronter un réel rebelle », comme elle dit pudiquement…
Les « fenêtres » qu’elle ouvre avec constance offrent une « vacance émerveillée »,
comme une langue rêveuse et légère par laquelle chaque surface engage spontanément
une émotion à qui sait voir. On serait bien en peine de découvrir des
espaces cloisonnés dans le monde pictural de la peintre où tout communique.
Cet effondrement des cloisons – souvent par l’absence d’ombre, au coeur de
toute illusion visuelle – libère une féérie chromatique, un bonheur d’expression qui
envahit le regardeur.
L’éclat du songe, le halo du souvenir, l’émerveillement de l’atelier. Tout le long de sa
monographie, le lecteur traverse un travail intime où l’imaginaire se nourrit d’une
expérience décloisonnée du réel et de son métier de peindre. Toujours en puisant
dans son terreau de rêves et de reflets, de formes incertaines ou liquides, vivantes
et colorées, exhumant un univers passionnant et passionné. Annick Zimmermann
donne à voir et à vivre un voyage fécond, se jongle du réel. Comme Bonnard, elle
peint le « temps à l’état pur », selon le mot pertinent de Jean Clair, renonçant à
toute obscurité.
OLIVIER OLGAN LE GUAY
Directeur-fondateur du site www.singulars.fr